NOSSUBAU

  • Le projet "Nossubau" renverse les perspectives et les attentes, littéralement et symboliquement. Ce titre, miroir du nom Aubusson, nous plonge dans un univers de réversibilité, de reflets et de dualités. Il incarne l’inversion de la trame narrative des célèbres tapisseries d’Aubusson, où le dos, généralement dissimulé, devient ici la figure centrale. Le projet se situe à la frontière de l’histoire de l’art et du ready-made, interrogeant l’apparence et l’essence, le processus et le résultat.

    Contextualisation : Les Tapisseries d'Aubusson

    Nées dans le village éponyme au cœur de la Creuse, les tapisseries d’Aubusson se sont imposées dès le XVe siècle comme l’un des plus grands foyers de l’art textile en Europe. Tissées en basse-lisse, ces pièces utilisaient la laine, la soie, puis le coton pour illustrer des scènes mythologiques, pastorales ou contemporaines. Réalisées d’après des peintures d'artistes renommés, elles exigeaient une technique d’assemblage minutieuse et une compréhension du jeu de la lumière et des couleurs pour donner l’illusion de profondeur et de mouvement.

    Traditionnellement, la face exposée des tapisseries d'Aubusson est celle qui reproduit fidèlement la composition de la peinture, éclatant de nuances et d’équilibre. En revanche, le dos de la tapisserie, un enchevêtrement de fils et de nœuds, est considéré comme le rebut du travail, le lieu des erreurs et des ajustements, de ce qui ne devait jamais être vu. La face visible, par son exposition au soleil, voit ses couleurs s’affadir et s’atténuer, se dégradant sous l’action du temps, tandis que l’envers, préservé, conserve sa brillance originelle.

    Démarche artistique

    Avec "Nossubau", les tapisseries sont montées sur châssis, mais la face visible n’est plus celle que l’on attend. Le regard est invité à explorer l’envers du décor, là où les fils s’entrelacent sans souci de figuration, où les couleurs se superposent dans une logique chaotique. En élevant cet envers au rang d’œuvre d’art, le projet libère l’objet de sa fonction décorative pour le réinscrire dans une logique purement conceptuelle, où la forme brute et le geste du lissier prennent le pas sur la représentation.

    Cette mise en scène fait écho à l’esprit du ready-made de Marcel Duchamp, où l’objet est déplacé hors de son contexte d’usage pour être présenté dans toute sa banalité comme une œuvre. De même, "Nossubau" fait ressortir ce que la tapisserie d’Aubusson renferme d’inachevé, de détaché de son propre rôle de narration visuelle.

    Une approche ready-made

    L’esprit du ready-made est ici renforcé par l’utilisation d’un procédé de montage minimaliste : la tapisserie est simplement tendue sur châssis, sans modification ni embellissement. L’acte artistique se limite à retourner l’œuvre, à changer le point de vue, à jouer sur ce renversement d’échelle et de perception. En exposant le dos, "Nossubau" expose aussi l’histoire intime de l’objet, celle qui est cachée sous la surface lisse de la face visible.

    Ainsi, "Nossubau" devient une invitation à contempler ce que l’on n’est pas censé voir, à se pencher sur l’envers du patrimoine pour réinventer la place du détail et de l’erreur. L’œuvre dialogue avec la matérialité brute de la tapisserie, libérant les fils et les nœuds de leur rôle caché pour en faire les acteurs principaux d’un nouveau récit.

Série Nossubau - COUTANSON Rémi - 2024

Rémi Coutanson

French contemporary artist

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